Ino Casablanca : une traversée du désert nommée Tamara

Par Lou-Marco Crepelle

Révélé par le clip de Fuck Larr, Ino Casablanca propose pour son premier album Tamara une histoire d’amour à la fois tragique et salvatrice. Un cas classique qu’il ne manque pas de revisiter avec ses propres influences, à la croisée du hip-hop, à la fois nonchalant et percutant, et de rythmiques traditionnelles. Un album où les opposés s’attirent, et où l’esthétique vocale et musicale est soigneusement agencée pour ne rien laisser au hasard.

Comment survivre à une histoire d’amour qui détruit, et à un travail acharné qui nous ronge ? C’est tout le propos de Tamara, premier album d’Ino Casablanca, signé sur le nouveau label LCS Recordz du Chroniqueur Sale. Comme il le confie à Camille Emilie pour Mouv’, « Tamara en darija signifie la pénibilité, la souffrance, la galère. Et j’ai voulu retranscrire ça parce que j’ai beaucoup travaillé, aussi bien dans ma musique que dans mes relations, et que le mot est à la fois joli et dur. » Déjà au premier abord, mais encore plus à la réécoute, on se rend compte que cet album n’est pas qu’une simple compilation de chansons. A travers ces dix titres, Ino nous raconte une histoire, en partie la sienne, dans laquelle il est en proie à de nombreuses interrogations. Des questionnements amoureux d’abord, qui le pousseront à des questionnements plus introspectifs, pour à la fin du disque, nous montrer qu’il est vraiment lui dorénavant. Mais s’il voit du bon œil cette traversée du désert au dénouement de l’histoire, l’intrigue n’a pas exactement la même ambiance.

« Celle dont je parle dans le projet je l’ai oublié à la fin du projet »

Dans Nouvo Groove, un son très dynamique, presque agressif, Ino pause les bases de son histoire. Une histoire d’amour, qui sera complètement derrière lui à la fin de l’album, comme en témoigne la phrase : « Celle dont je parle dans le projet je l’ai oublié à la fin du projet ». Autre élément important, il va conter une histoire d’amour assez classique certes, mais à sa manière, avec sa patte artistique, puisqu’il « ramène ce nouvo groove ».

Après avoir établi la situation initiale, Ino nous présente l’élément perturbateur, cette fille qu’il aime et qui lui fait du mal. Sur Albufeira, le changement d’ambiance est total. On troque les basses saturées et les percussions agressives pour une rythmique acoustique plus traditionnelle, sur fond de mélodies chaude, à l’image de cette ville côtière du sud du Portugal. Pourtant, Ino y chante sa tristesse, quand il constate que celle qu’il aime a changé quand lui est resté le même, et que son comportement toxique le détruit.

J’crois qu’ton rapport au passé m’dégoutait
Tu l’vis comme si c’était au présent
Baby c’était oppressant

Ino Casablanca – Albufeira

En face de ton ego
Mon âme poussait des cris que tu refusais d’entendre

Ino Casablanca – Albufeira

Après avoir plongé dans la mélancolie avec Albufeira, Ino pousse plus loin l’exploration de la douleur amoureuse avec Avant la fin. Cette fois, avec Nensi en featuring, on nous présente aussi le point de vue opposé. Elle interprète une femme changeante, qui dit s’attacher à des hommes vides et mauvais. Et Ino interprète un homme qui souffre par les mensonges et reproche de sa femme.

Je plonge dans le vide
Des cœurs noirs et hasardeux, qui me donnent l’impression de vivre
A chaque nouveau départ, je crois que je peux y survivre
Toi t’arrêteras d’y croire quand tu verras le vrai moi fuir

Nensi – Avant la fin

Pour toi j’ai quelques mots ; pour moi j’garde toute ma rage
Devant tes virages comment faire pour rester calme

Ino Casablanca – Avant la fin

Une situation insolvable qui oblige Ino à couper les ponts pour de bon, malgré le mal que ça lui fait.

Une nouvelle lune où tu m’fais encore des tiennes
Si t’es chelou, j’te quitte y a pas d’mystère

Ino Casablanca – Avant la fin

Mais malgré le souhait de s’en détacher, car il sait que cela lui fait plus de mal que de bien, on comprend sur Oranj que ce n’est pas si facile. Tout le ramène à cette relation, chaque élément de son quotidien devient synonyme de souvenirs et de regrets. Un des morceaux les plus importants du disque puisqu’on peut le comprendre de deux manières, comme un témoignage de ses propres pensées. Mais c’est aussi un témoignage du point de vue opposé, le ressenti de celle qu’il aime, que l’on comprend lorsqu’il conjugue certains mots au féminin. Le morceau prend tout de suite une autre dimension, nous confirmant une nouvelle fois que ces dix titres sont bien plus qu’une simple compilation…

J’espère que tu sais
Que sur mon balcon j’suis là à attendre comme toutes les autres
Que tu toques à ma porte

Ino Casablanca – Oranj

Le son de mes clefs me rappelle qu’j’suis plus chez moi
Mon cœur veut pas y croire

Ino Casablanca – Oranj

« Quand est-ce que j’pense à moi ? »

Après Albufeira, Avant la fin et Oranj, chansons où Ino dépeint une réelle souffrance, une phrase vient casser cet enchainement. La chanson suivante, Fuck Larr, commence par « Les gens sont là, ils font les choses pour eux, et moi j’suis là, quand est-ce que j’pense à moi ». Loin d’être un hasard, cette phrase sonne comme une prise de conscience. Cette relation lui a fait beaucoup de mal, il est temps maintenant de penser à soi et de dire au revoir à son amour.

Et justement, le titre suivant Ciao my love ! sonne littéralement comme un bon vent ! Il s’adresse directement à son ex, dont on ne connait pas le nom, en parlant de son habitude de le traquer et de lui mentir. Etonnamment, il aborde cette rupture plus calmement. Il semble vraiment avoir pris du temps pour penser à lui. On apprend même qu’elle veut le reprendre, et il en parle de manière légère, avec le sourire.

C’est pas si sombre
Mon coeur est rose et fait la fête
Et tu crois m’récupérer avec tes fesses mais non !

Ino Casablanca – Ciao, my love !

J’emmerde ta façon d’aimer
Tu m’as fait croire que j’étais un fou complet mais non !

Ino Casablanca – Ciao, my love !

Cette dernière phrase est une réponse directe à une autre phrase dans Albufeira, où il dit « Tout le monde a remarqué que je suis devenu fou ». On comprend alors que sa copine avait réellement une influence toxique, jusqu’au point de lui faire croire qu’il était fou.

Il sait dorénavant ce qui est bon pour lui et ce qui ne l’est pas, comme il l’explique dans Paraplui, où il règle ses comptes avec les paris sportifs, les filles en soirée et surtout les lepénistes (bien vu Ino). Mais il sait aussi où est ce qu’il va : il veut « être une superstar ». Après avoir mis cet épisode sombre derrière lui, il peut sereinement aborder le futur et reconstruire une aventure sur des bases d’autant plus solides.

« Entre mes mains j’ai hyati »

Ino témoigne de son lâché prise dans Mayet, dans lequel il accepte son passé, mais surtout le commencement d’une nouvelle ère. Comme dans Degrés Fahrenheit, il continue à parler de ses échecs, mais en les mêlant cette fois à de nouvelles expériences, nous confirmant qu’il n’a pas renié son passé mais qu’il a tourné la page, qu’il a sa vie entre ses mains

J’me suis fait à l’idée, j’ai digéré tous nos échecs
Ces pensées parasites, là je change de vie

Ino Casablanca – Degrés Fahrenheit

J’peux pas t’occuper toutes les saisons, j’ai les miennes et j’sais que t’as tes raisons
Entre mes mains j’ai hyati [ma vie], tu l’vois en moi mais j’suis pas ton père

Ino Casablanca – Degrés Fahrenheit

Racaille vient clore l’album, avec un flow qui rappelle celui de Luidji sur Miskine. Ino semble bien avoir avancé depuis le précédent morceau. Dans ce texte plus léger, mais toujours impactant, on apprend qu’il a de nouveau une copine. Cela confirme bien une des premières phrases de l’album : « celle dont je parle dans le projet je l’ai oublié à la fin du projet ».

Si Tamara fonctionne aussi bien, c’est parce qu’Ino Casablanca soigne autant la narration que la production. En s’impliquant dans chaque titre, il construit un univers sonore où chaque émotion trouve son écho musical. Ino est à la production sur tous les titres, accompagné sur la moitié d’entre eux par la guitare et la basse d’OSOMEXICO. Une musique composée à deux, qui garantit une continuité malgré les changements d’ambiances et de registres. La musique seule raconte déjà une histoire, et l’interprétation d’Ino, tantôt chantée, tantôt rappée, apporte une nouvelle dimension à l’histoire. Bien que ce ne soit que son premier album, la proposition est déjà très mature et bien réalisée. L’avenir s’annonce radieux pour cet « homme et demi qui fait les choses », alors montez dans le train tant qu’il est encore temps.

Cet article a 2 commentaires

  1. mrk

    Incroyable 🤝🏼

  2. M

    Excellent article 🤝🏼

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