Par Lou-Marco Crepelle
Ce 7 février 2025, H Jeunecrack signe son retour en dévoilant 1er Mouvement. Entre électro et sampling, il continue d’étaler ses compétences sur un huit titres bien ficelé, court et addictif, qu’il écrit et produit entièrement. La première pierre d’une deuxième trilogie qui s’annonce déjà très intéressante à suivre.
Après avoir sorti le très bon Matière Première en mai 2023, H Jeunecrack s’est fait plus discret, avec seulement un EP commun avec Mairo (du très haut niveau). Le natif de Lille a pris le temps de se ressourcer, pour se renouveler, lyriquement et musicalement, et précisément connaître la direction à suivre. Celui qui s’est fait connaître par une première trilogie (1er Cycle, 2ème Cycle, 3ème Cycle) est de retour avec… une nouvelle trilogie. Le 7 février 2025, il partage 1er Mouvement, huit titres qui posent les bases de ce nouvel arc. Un disque plus personnel dans lequel on retrouve toutes les caractéristiques qui font notre attachement pour l’artiste.
1er Mouvement, une ode au sampling sur fond d’électro
« J’fais la prod, le son, le mix, j’crois que j’ai huit bras : la pieuvre ! » C’est ce que déclarait HJC il y a un an et demi dans son EP commun avec Hologram Lo’, producteur de renom et co-créateur, avec Alpha Wann, du label Don Dada Records. Un caractère touche-à-tout qui fait pleinement partie de son ADN, et pour preuve, il est à la production sur chacun des huit titres. Une attitude de geek de rap qu’il met en scène dans le clip de Kaboul Kitchen, dans lequel on le voit faire trembler son appartement tellement la prod frappe fort. Grâce à cette double casquette de rappeur-beatmaker, il créé une véritable alchimie entre sa musique, son texte et son interprétation.
Sur 1er Mouvement, on retrouve des productions légèrement empreintes d’électro, vestiges de son précédent long format, à l’image du son Manita en co-prod avec Simala (avec qui il a déjà collaboré sur Musée et La Vigne). Si la touche électronique persiste, notamment dans les effets de voix et dans certains patterns de drums, elle passe désormais au second plan. Ce sont bien les samples, sous de multiples formes, qui prennent toute la lumière sur 1er Mouvement. Une bascule déjà audible dans les trois singles qui précèdent le disque (La Taupe / Freestyle 1er Mouvement / Hustleuse). Des chants grégoriens jusqu’à une chanson de Maureen Mcgovern des années 70, il confirme son côté digger qui lui permet de telles découvertes, et des mélanges très créatifs entre les genres musicaux. Encore une fois, le Hip-Hop brise les barrières et mélange les cultures, pour le plus grand plaisir de nos oreilles.
HJC le dit lui-même, il a besoin de s’amuser dans sa musique, et de tenter de nouvelles choses. Si ces expérimentations sont au cœur de chacun de ses projets, celui-ci témoignent d’une prise de maturité, de plus de réflexion dans la proposition. Des expérimentations qui ont moins le côté brouillon qu’il y avait sur ses premiers sons, mais qui gardent le côté « laboratoire ». Kassded le morceau Le beau geste, co-prod par abel 31 (Winnterzukou, Luther, Rouhnaa…), qui délivre une production fleuve magnifique, mettant d’autant plus en valeur les bars de la pieuvre aux mille tentacules.
« Je n’ai qu’une parole, elle fait que de lâcher des bars »
Depuis ses débuts, et encore dans ces huit titres, HJC met en avant son côté aventureux, expérimentant des interprétations teintées d’électro et des mélodies comme dans Manita. Mais s’il y a une chose qu’il n’oublie pas (c’est aussi ce pourquoi on l’écoute), c’est son côté Monsieur Le Prouveur, drôle et incisif. Cette grande pause de plusieurs mois a pour sûr servi sa direction artistique, avec des productions plus poussées qui accompagnent surtout des textes plus pertinents. Mais elle a aussi servi un style d’écriture dont il n’a cessé de monter le niveau. S’il fait toujours de la rime pour la rime, chacune d’entre elles a une importance précise, un sens, une raison d’être dans le morceau. Il exprime alors des idées « déjà vues », mais tournées à la sauce Jeunecrack.
J’suis pas encore riche, mais maintenant je sais qu’le livret A ça s’arrête à 20K
H Jeunecrack – Kaboul Kitchen
J’ai deux bras, deux jambes, par contre je n’ai qu’une parole
Je n’ai qu’une parole, elle fait que d’lâcher des barsH Jeunecrack – Le beau geste
Le JeuneCrack, le gros caillou, j’me dis juste au cas où
« Faut qu’j’achète un Tokarev, p’t-être qu’il en reste au Carrouf »H Jeunecrack – Le gros caillou
Mais H Jeunecrack, malgré les apparences, ce n’est pas que des blagues bien placées. S’il adopte toujours un ton un peu moqueur, il s’interroge également sur des problèmes plus sérieux. Souvent, il n’écrit pas de phases directement engagées, bien qu’on sache de quel bord il penche, mais se place plus en tant que spectateur qui rend compte de la société dans laquelle il vit.
Quand j’dors, mon cerveau travaille, « tout travail mérite salaire »
Bah oui, gros, même les hopitaux font du chiffre d’affaireH Jeunecrack – Sade
Y aura pas d’deuxième Terre, y aura pas d’deuxième H
Ces rappeurs sont fans de moi alors qu’on a le même âgeH Jeunecrack – Manita
À titre personnel, l’une de mes phases préférées de ce disque est la suivante, très bien expliquée sur Genius.
Ils ont n*qué l’futur, ils nous demandent c’qu’on veut faire plus tard
Demande à un aveugle sa couleur préféréeH Jeunecrack – Le beau geste
Et si ce n’est que le premier mouvement de cette deuxième trilogie, il abrite des sons déjà top carrière de H, comme Le beau geste, ou le très (très) grand Hustleuse : une chanson d’amour, illustrée par un clip au style unique, où l’on reste suspendu aux lèvres de HJC à chaque punch, sur une prod magnifique co-signée Hologram Lo’ (que de superlatifs, mais la qualité du morceau l’oblige).
Avec l’enchaînement de Hustleuse, Deuxième peau et Kassded, on est face à une fin de disque très H Jeunecrackesque (bête de mot non ?). Chacun de ces morceaux renferment autant des punchs drôles que profondes, écrite sans filtre, sans transition. Et c’est là où réside sa grande force, celle de nous faire rire sur une phrase, et redescendre brutalement la phrase suivante, ou inversement.
Chaque jour sur mon ordi, j’parle à ma carte mère, gros c’est comme mon âme soeur
Tous ces gars me fatiguent, j’arrive dans la party, j’ai juste envie d’repartir
Mon frérot il est partit, on s’captait tous les mardis, j’y pense tous les mardisH Jeunecrack – Deuxième peau
Kassded quand j’ai comat’ après ma première ‘teille, quand mon père voulait que j’ai ma première Play’
Kassded ma première fois, même si j’ai préféré ma première paye
Kassded mon compte en banque qui m’est resté fidèle, même quand je lui donnais rien à grailleH Jeunecrack – Kassded
Kassded Papa, Maman, j’espère que vous deviendrez jamais séniles
Et j’espère que vous pourrez faire la paix pour le jour de mon Zénith
Sinon c’est pas grave, au pire j’en f’rai deux, un pour chacunH Jeunecrack – Kassded
Le premier mouvement de cette deuxième trilogie n’a en soit rien de surprenant. Ceux qui connaissent et apprécient déjà HJC ne seront pas surpris par ce qu’ils vont y trouver, autant dans la musicalité que dans les paroles. L’accent n’est pas sur la nouveauté, il améliore plutôt tous les aspects qui font sa réussite et sa spécialité, ce qui lui permet de délivrer un excellent huit titres, annonçant une grande suite pour les mouvements suivants. Avec vingt minutes de son où rien n’est à jeter, il délivre un disque court et addictif, à la manière d’un Tous ces ongles rongés de Jeanjass sorti en septembre dernier. H Jeunecrack frappe juste, et confirme à ceux qui en doutaient encore, sa place dans cette nouvelle génération de rappeurs qui cassent les codes tout en respectant un certain héritage du rap.
Pour défendre ce disque avant d’embrayer sur la création du prochain, puisqu’il n’a pas déjà tout préparé (voir son excellente interview sur l’Abcdr du son), H Jeunecrack commence sa tournée dans toute la France, avec en final une double Cigale le 9 et 10 mai 2025.
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